Ce n’est pas The Lancet qui a remis en question les données concernant un vaccin russe, mais un groupe d’experts
The Lancet a publié une lettre dans laquelle un groupe de scientifiques font part de leurs doutes sur Spoutnik V, mais ce texte ne constitue pas en soi l’opinion de la revue scientifique
Vous nous avez fait parvenir une information d’Infobae dont le titre suggère que la prestigieuse revue The Lancet a remis en question ses propres conclusions au sujet du vaccin russe contre la covid-19 Spoutnik V dont elle avait publié les données sur l’efficacité et la sécurité en février dans un article vérifié par la communauté scientifique. C’est une information TROMPEUSE. The Lancet a publié le 12 mai une lettre intitulée « Data discrepancies and substandard reporting of interim data of Sputnik V phase 3 trial » [Divergences de données et communication non conforme aux normes des données intermédiaires de l’essai de phase III de Spoutnik V], dans laquelle un groupe de scientifiques font part de leurs doutes sur un article publié en février, mais ce texte ne constitue pas en soi une opinion soutenue par la revue scientifique.
« La publication scientifique qui a cautionné scientifiquement et légitimé auprès de l’opinion publique […] le vaccin Spoutnik V contre la covid-19 émet désormais des objections au sujet des données scientifiques l’avalisant et les considère comme insuffisantes et peu transparentes. »
Cette lettre remet en question certains éléments de l’article dans lequel The Lancet reconnaissait que le vaccin Spoutnik V présentait une efficacité attestée de 91,4 %, une donnée confirmant ce qu’avaient précédemment annoncé les autorités russes. Or, « plusieurs experts ont découvert des données problématiques dans les résultats publiées concernant les phases I et II ». De plus, les experts assurent avoir « effectué diverses demandes indépendantes afin d’avoir accès à l’ensemble des données brutes, mais jamais elles n’ont été considérées », expliquent les auteurs, qui demandent une révision des données. Les « préoccupations » de ces scientifiques ont un rapport avec le manque d’informations, l’insuffisance de clarté concernant le protocole appliqué lors des phases d’étude et l’incohérence de certaines données.
« Ce type de lettre fait partie du débat et du processus scientifiques, et c’est en général bon signe », explique à Verificat Adelaid Sarukhan, immunologue et rédactrice scientifique de l’Institut de santé globale (ISGlobal) de Barcelone. « Si, effectivement, les incohérences de données devaient se confirmer ou si les auteurs continuaient de refuser de les rendre publiques, alors il reviendrait à la revue The Lancet de prendre les mesures appropriées », souligne-t-elle.
Trois problèmes
Le groupe de scientifiques expose dans sa lettre trois problèmes en rapport avec les résultats des phases I et II (sécurité et immunogénicité) ainsi que de la phase III (efficacité). Le premier concerne l’absence d’accès aux données utilisées par les scientifiques russes pour tirer leurs conclusions. Les experts demandent donc plus de transparence à cet égard.
Le deuxième problème est en rapport avec l’ajout de trois analyses additionnelles à l’étude qui avait été présentée en novembre passé et sur laquelle se fonde l’efficacité du vaccin Spoutnik V ; en effet, ces trois analyses sont absentes du site ClinicalTrials.gov, qui recense les essais cliniques du gouvernement américain et est considéré comme la référence dans le monde de la recherche scientifique. L’un des questionnements concerne la façon dont les participants soupçonnés de souffrir de la covid-19 ont été évalués. La lettre affirme par exemple qu’il manque des informations sur les paramètres cliniques permettant de déterminer qui présentait des indices de contamination, sur les protocoles de diagnostic utilisés et sur le moment auquel ont été effectués les tests PCR et avec combien de cycles d’amplification.
« La manière de définir les cas suspects pourrait avoir entraîné un biais dans les tests PCR utilisés pour évaluer le nombre de cas confirmés de covid-19, ce qui est essentiel pour déterminer l’efficacité », soulignent-ils. En outre, les experts mettent en avant une incohérence quant au nombre de personnes qui ont participé à l’essai clinique. Les chercheurs responsables de l’essai avaient donné le chiffre de 35 963 participants ayant reçu la formule candidate et 21 977 participants ayant reçu de manière aléatoire soit le vaccin, soit un placebo, mais dans le registre officiel du site ClinicalTrial.gov n’apparaissent que 33 758 participants.
Le troisième problème concerne une incohérence avec les données recueillies pendant le processus de monitorage : au jour 20 après vaccination apparaissaient davantage de personnes qu’au jour 10. « Avec de telles incohérences, nous remettons en question les données communiquées », concluent-ils.
Près de 70 pays administrent Spoutnik V
Le vaccin Spoutnik V s’administre en deux doses à 21 jours d’intervalle et il est utilisé à l’heure actuelle par près de 70 pays, la plupart en Asie, en Amérique latine et en Afrique. L’Union européenne et les États-Unis ne l’ont pas autorisé.